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Building a conceptual framework of organizationally embedded tensions to enhance leadership for safety in high-risk and highly regulated organizations

A complexity leadership perspective
Auteur(s)
Natalia Jubault Krasnopevtseva, Yoann Guntzburger, Renata Kaminska & Catherine Thomas
Numéro
Juillet 2024
DOI
/10.1016/j.ssci.2024.106572

Formats disponibles

    Résumé

    Jubault Krasnopevtseva, N., Guntzburger, Y., Kaminska, R. & Thomas, C. (2024). Building a conceptual framework of organizationally embedded tensions to enhance leadership for safety in high-risk and highly regulated organizations: A complexity leadership perspective, Safety Science, 177.

     

    Notre avis

    📖📖📖 Ce mois-ci, le résumé d’un texte publié dans Safety Science, écrit par nos collègues de l’Université Côte-d’Azur (Nice) qui ont conduit le projet européen ELSE (European Leadership for Safety Education) proposant une nouvelle formation sur le leadership pour la sécurité dans l’industrie nucléaire. L’analyse va bien au-delà de ce secteur industriel et propose d’intégrer les derniers apports des théories sur la sécurité (culture de sécurité, HROs, resilience engineering, théorie sur la complexité) pour proposer un cadre de réflexion original. À connaître dans tous les secteurs industriels.

     

    Notre synthèse

    La sécurité des industries à risque est fortement réglementée et contrôlée. Ces mesures n’ont pourtant pas supprimé complètement la survenue d’accidents gravissimes. La causalité des derniers accidents semble largement associée à des interactions complexes et contextuelles entre aspects techniques, humains et organisationnels. C’est le cas typique de l’industrie nucléaire.
    De fait, la communauté nucléaire internationale reconnait que les barrières techniques ne suffisent pas à assurer la sécurité. L’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) a traduit cette situation en mettant de plus en plus l’accent sur la composante des facteurs organisationnels, et plus précisément sur les standards réglementaires et les attributs adaptatifs espérés du leadership de/pour la sécurité chez les managers en contexte complexe. Mais objectivement, cette orientation est encore faiblement traduite dans les faits. Le modèle de leadership enseigné continue à être surtout basé sur des logiques anciennes renvoyant au style propre du leader plus qu’à une intégration de ce leadership dans une perspective organisationnelle, avec une capacité d’adaptation contextuelle particulièrement dans les situations critiques.
    Reste que la littérature sur cette vision alternative du leadership en situation complexe est encore limitée.
    L’approche des auteurs était d’essayer d’aborder ces difficultés en réunissant dans un séminaire résidentiel 22 experts de 15 universités, tous porteurs d’expertise à la fois académique et du terrain nucléaire, mais pas uniquement. Les débats portaient sur des dimensions en tensions impliquées dans le leadership pour la sécurité en lien avec le contrôle de la complexité au travail.

    Cadre théorique

    Le leadership dans les industries à risque souffre d’une faiblesse récurrente dans sa capacité à gérer les multiples tensions contradictoires pesant sur la sécurité.
    Les approches modernes considèrent les industries à risque comme des systèmes sociotechniques complexes, caractérisés par leur non-linéarité et l’augmentation des tensions entre contraintes, performances demandées et objectifs de sécurité.
    Dans cette perspective, une nouvelle habileté souhaitée pour les managers est de savoir naviguer entre ces contraintes et d’équilibrer harmonieusement standardisation et flexibilité, qui sont toutes deux nécessaires. Il s’agit de questionner tout autant une vision de suivi des règles sans nuance, que la nature de ce que seraient de bonnes réponses adaptatives.

    Dans ce contexte, les auteurs rappellent qu’il existe une importante littérature consensuelle sur le fait que le leadership est une valeur clé pour la sécurité, particulièrement pour gérer les conflits entre performance et sécurité.
    Mais en dépit de cette reconnaissance, la définition et la formation au leadership reste centrée sur le style du leader, tant sur les travaux classiques et anciens issus de Lewin, que dans l’accent plus récent mis sur le leadership transformationnel (capacité à influencer de façon positive la progression et la participation active des personnels à la sécurité, à produire un climat de sécurité, à écouter les besoins de chacun).
    Le parti pris des auteurs – qui guide tout l’article –, est plutôt que l’exercice d’un leadership en situation dynamique complexe demande d’abord de mieux comprendre les tensions organisationnelles qui affectent la sécurité.

    D’un point de vue académique, l’analyse de ces tensions sur la sécurité renvoie typiquement  à l’apport de la théorie du leadership de la complexité (Uhl-Bien, M., Marion, R. & McKelvey, B. (2007). Complexity leadership theory: Shifting leadership from the industrial age to the knowledge era. The leadership quarterly, 18(4), 298-318).
    Cette approche vise à comprendre la dynamique des systèmes complexes, vus comme des agrégats de multiples sous-systèmes en interactions permanentes et pouvant conduire à des résultats surprenants.
    Le leadership n’est plus seulement perçu comme un processus d’influence sur les individus mais aussi comme la capacité à cultiver et induire un environnement favorable à favoriser des interactions et des initiatives productrices de sécurité.

    Cette théorie du leadership de la complexité identifie trois principaux modes de leadership :

    1. Le leadership opérationnel agissant sur les structures officiellement identifiées au niveau organisationnel (règles, standards et procédures, plans, récompenses, sanctions).
    2. Le leadership entrepreneurial prenant en compte les interactions informelles pour générer des réponses innovantes à des défis inattendus et des pressions excessives sur les structures et standards officiels, en gérant l’équilibre entre stabilité des processus et flexibilité pour l’innovation.
    3. Le leadership souple/facilitateur (enabling leadership) pour gérer des processus adaptatifs qui émergent entre stabilité des organisations et changements requis. L’idée est ici de permettre l’établissement et le maintien d’un espace de réglage adaptatif. Ce leadership met l’accent sur la notion de système apprenant.

    Trois gestions clés sont à considérer :

    • gérer les tensions entre forces contradictoires,
    • favoriser la flexibilité et l’adaptabilité,
    • renforcer les acteurs de terrain et les former à ce savoir sur la flexibilité.

    Les tensions seraient le résultat de logiques organisationnelles, indépendantes, trop souvent regardées comme opposées. Les scientifiques pointent le risque d’une description de ces oppositions d’une façon trop simple, trop tranchée, irréconciliable. La bonne approche serait plutôt de penser à des visions plus nuancées de ces tensions, en les considérant sous influence mutuelle. C’est ce qui a conduit à l’idée de développer une forme d’« intelligence du paradoxe » chez les leaders (paradox mindset) (Alfes, K. & Langner, N. (2017). Paradoxical leadership: Understanding and managing conflicting tensions to foster volunteer engagement. Organizational Dynamics, 46(2), 96-103).
    Ces environnements de travail de plus en plus dynamiques nécessitent une plus grande adaptabilité, qualité que le leadership doit favoriser en créant un espace pour confronter les idées et favoriser l’émergence de solutions innovantes. Cette qualité renvoie aux habiletés cognitives et comportementales du leader, mais celles-ci ne sont pas limitées au leader. Ces qualités doivent être distribuées parmi tous les employés confrontés aux mêmes niveaux de complexité du travail, en construisant de nouveaux paradigmes d’interactions sociales et de réactivité en contexte. Ces qualités à acquérir dépassent donc le strict domaine de la sécurité et de la personnalité du leader pour s’appliquer à toute la performance au travail. Il faut toutefois reconnaître que les études sur l’acquisition et le maintien de ces savoir-faire adaptatifs sont rares, en écho à la difficulté d’organiser des recherches sur les processus d’influences croisées entre dimensions à gérer dans ces contextes complexes et labiles.

    Apports du séminaire d’experts

    En définissant le leadership pour la sécurité (leadership for safety), les participants ont réuni deux points habituellement séparés :

    • l’un renvoyant à la gestion de la sécurité (safety management) classiquement porté par des principes, règles, connaissances et conception ;
    • l’autre plus en lien avec la volonté d’influencer et de guider les activités contextuelles de terrain : le leadership est reconnu comme un processus d’influence pour satisfaire les attentes de gestion de la sécurité. Ce processus d’influence recouvre la gestion des tensions du terrain pour faire émerger les pratiques de sécurité désirées.

    Ces tensions sont regroupées en trois types, chacun lui-même sensible à trois autres sous- tensions :

    1. Sécurité gérée versus réglée (collectif)

    Il s’agit des tensions entre stabilité et flexibilité des pratiques, avec l’idée que plus on introduit de procédures de sécurité moins on reste adaptatif. Il faut pourtant parfois dévier des procédures et, dans ce cas, l’absence de pratique et de formation réduit l’habileté à trouver des bonnes réponses. Le workshop a identifié trois tensions internes à ce premier axe :

    1. réduire l’incertitude versus se préparer à cette incertitude,
    2. augmenter les barrières procédurales versus former à l’adaptabilité,
    3. vouloir tout contrôler versus donner de l’autonomi.

    Chacune de ces tensions doit être traitée spécifiquement, à la fois par l’organisation et dans la formation pour gérer au mieux la tension d’ordre supérieure résultante (géré/réglé).

    2. Vision normative de chaque risque versus adaptative (individuel)

    On renvoie ici à la réalité que les organisations ultrasûres sont aussi celles où les managers et les travailleurs sont les plus mal à l’aise avec l’improvisation car ils se sentent (trop) protégés et sécurisés dans le domaine prévu, au point de faire trop confiance à ce cocon technique et d’hésiter à en sortir. Il faut réintroduire une capacité de doute sur le risque perçu, une capacité aussi à penser la sécurité dans le court et le long terme, à penser les conséquences de ses actes. Là encore, trois tensions composent cette tension d’ordre supérieur normative/adaptative :

    1. Complaisance versus vigilance : comme le disait Reason, il faut inculquer aux opérateurs travaillant dans les environnements très sécurisés une capacité de « ne pas oublier d’être inquiet », l’idée de se sentir toujours en doute (chronic unease). Les accidents sont en général précédés de signaux d’alerte.
    2. Vision abstraite versus vision pratique : cette idée renvoie à celle de distance entre l’abstrait et l’action. Par exemple, définir de façon abstraite la sécurité comme l’absence d’évènements peut être largement contre-productif en regard de la vigilance nécessaire au contrôle des multiples évènements de la vraie vie sur le terrain. L’introduction de technologies (robotisation, automatisation) éloigne de la perception directe du terrain et contribue à ce risque en altérant la perception des risques et en augmentant la complaisance.
    3. Vision long terme versus court terme : la distance temporelle et le long terme des risques se traduisent difficilement dans les représentations mentales, et les prises de décisions, qui sont souvent dirigées par les perceptions du court terme (les questions de vieillissement du matériel, penser maintenance).

    Cette dimension normative/adaptative motive un besoin de développement de meilleures habiletés organisationnelles de conscience de la situation (mindfulness) au sens de Weick et Sutcliffe. Il s’agit de confronter en permanence l’ici et maintenant à l’évolution du process, de peser les priorités et l’adéquation des solutions disponibles.

    3. Structure versus action (articulation entre niveau collectif et individuel) 

    On renvoie ici à Weick et à la culture de sécurité visant une stabilité de l’organisation tout en favorisant la flexibilité de l’action. Comme sur les dimensions précédentes, le workshop a identifié trois sous-systèmes de tensions :

    1. Culture versus climat : autant la culture renvoie à un partage de valeurs et de croyances relativement abstraites, autant le climat renvoie plutôt à une construction sociale de partage des rôles et des comportements qui peuvent être reconnus et récompensés. Le passage de la culture au climat reste un problème avec le fossé entre une sécurité désirée et organisée de façon codifiée et une sécurité observée – et valorisée – plus ou moins distante de cette sécurité désirée.
    2. Connaissance versus savoirs routiniers : les savoirs pratiques renvoient à des routines construites dans l’action (performance routines) souvent différentes des connaissances théoriques apprises en formation (abstract generalized routines). La « vraie sécurité » devient un processus émergent et collectif de la pratique de terrain construisant des routines de performance qui sont des résolutions pratiques du système de tensions réelles entre structures, technologies, règles et pratiques rencontrées sur le terrain.
    3. Planning versus exécution : tension classique quil est inutile de développer ici.

    Discussion

    L’article propose un cadre global de réflexion aidant à la définition d’une formation du leadership pour la sécurité. Ce cadre général suppose d’apprendre aux leaders à naviguer entre toutes les tensions, dont la définition au quotidien introduit une forte dose de porosité et de co-influence.
    L’approche s’éloigne définitivement d’une formation classique du leadership de sécurité qui met l’accent sur les habiletés individuelles du leader, pour la restituer comme une capacité d’influence dans la dynamique de la sécurité produite par la confrontation permanente entre structure (dimension ostensive) et action (dimension performative). Cela suppose une capacité pour le leader à comprendre et prendre en compte plusieurs sources parallèles de variations dans l’organisation et ses interactions.
    La clé de la réussite pour ces leaders est de pouvoir générer/créer un espace de réglage adaptatif qui naturellement se partage avec les opérateurs et conduit à des bonnes pratiques de sécurité.
    Les auteurs apportent aussi leur touche à la théorie du leadership de la complexité en proposant de transformer la catégorie « leadership entrepreneurial » (adapté à l’innovation) en « leadership sachant » (cognizant leadership, adapté à la sécurité). Ce « leadership sachant » favorise la conscience de la situation, sa compréhension et les connaissances pratiques utiles à l’action, ainsi que celles liées à leurs conséquences.
    Enfin, les auteurs insistent sur une approche plus nuancée entre tensions, plus basée sur leur identification et prise en compte simultanée par le leader et l’organisation, et plus sujette à des compromis de réglage in situ.