Risk perception and safety behaviors in high-risk workers
Priolo, G., Vignoli, M. & Nielsen, K. (2025). Risk perception and safety behaviors in high-risk workers: A systematic literature review. Safety Science, 186.
Notre avis
Une revue de littérature proposée par trois autrices de départements européens de sciences humaines et sociales : une Danoise, une Italienne et une Anglaise. Ce travail porte sur le lien entre la perception des risques chez les travailleurs à métiers dangereux et les comportements de sécurité de ces travailleurs. A lire pour clarifier ses idées dans ce domaine encore sujet à de nombreuses approches et interprétations peu alignées entre elles, particulièrement pour la dimension affective de la perception du risque.
Notre synthèse
Les chiffres de l’Organisation internationale du travail (2022-OIT, émanation de l’ONU) montrent que plus de 2,9 millions de travailleurs dans le monde perdent la vie chaque année en raison d’accidents et de maladies professionnels. Selon l’OIT, au-delà des décès, les conséquences des mauvaises conditions de travail représentent aussi un fardeau économique considérable, soit près de 5,4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial chaque année.
Il est donc logique que l’agenda des 17 objectifs de développement durable à l’horizon 2030 des Nations unies réserve une place importante à la sécurité et la santé au travail (objectif 8) et au bien-être pour les conditions du travail (objectif 3).
Un facteur crucial influençant les comportements de sécurité des travailleurs est leur perception des risques professionnels. C’est le cœur de cette revue de littérature.
Définition du périmètre considéré
La perception du risque définie par la Society for Risk Analysis (Aven, 2018), fait référence au « jugement subjectif ou à l’évaluation du risque par une personne ».
L’évaluation classique du risque relève de la probabilité de subir les conséquences négatives associées à un danger (dimension délibérative), mais les sciences humaines et sociales soulignent aussi l’importance des réactions intuitives, affectives et émotionnelles que les gens associent à un stimulus (dimension affective).
Dans ces conditions, la perception du risque peut être conceptualisée comme un concept tridimensionnel comprenant :
L’évaluation subjective de la probabilité d’être exposé à un danger spécifique.
L’évaluation subjective de la gravité de ses conséquences (négatives) potentielles.
Les réactions affectives au danger (généralement négatives).
Cette perception du risque influence non seulement les comportements individuels, mais aussi l’acceptation et l’adhésion aux politiques et aux normes (Wilson et al., 2019). C’est vrai au niveau individuel (recommandations sur la santé par exemple) comme au niveau organisationnel pour la promotion de la sécurité dans différents secteurs.
Revue de littérature
La revue de littérature proposée concerne les liens entre perception des risques et comportements de sécurité des travailleurs.
Elle recouvre les publications des 20 dernières années sur des études quantitatives concernant un large éventail de professions à haut risque physique, telles que définies par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (2023). Ces professions impliquent une exposition à :
- des risques physiques : bruits forts, vibrations, agents chimiques ou biologiques, températures élevées ou basses, pièces mobiles de machines ou de véhicules, matières dangereuses ;
- et physiologiques : mouvements répétitifs, positions fatigantes et douloureuses, levage de charges lourdes, notamment dans les secteurs de la construction, de la culture/pêche, de l’exploitation minière ou de la fabrication.
Au total, 89 articles sont inclus dans la revue, dont plus de la moitié publiés au cours des cinq dernières années. Ils couvrent une grande variété de pays d’Europe (l’Italie en tête avec 8 articles), de la région du Pacifique occidental (la Chine en tête avec 9 articles) et des régions américaines (les États-Unis en tête avec 14 articles). Près d’un tiers de l’échantillon comprend des articles sur le secteur de la santé (34 %), suivi du BTP (20 %), de l’agriculture (18 %) et de l’industrie manufacturière (12 %).
Différentes manières d’évaluer la perception des risques
Le premier objet de l’analyse porte sur la façon d’évaluer la perception des risques. 71 % des articles ne donnent pas de définition de la perception des risques. Parmi ceux qui le font (29 %), la majorité définit la perception des risques comme le jugement subjectif sur un risque particulier. Seuls quelques-uns font spécifiquement référence à la réalité du concept, c’est-à-dire à ses doubles composantes délibérative et affective.
Ces articles qui couvrent la dimension affective utilisent principalement des éléments liés à des réactions émotionnelles telles que l’inquiétude (n = 13), la préoccupation (n = 5) et la peur (n = 7).
Au total, les autrices distinguent cinq catégories d’articles selon la définition retenue pour la perception des risques :
La première catégorie (Général, n = 22) comprend des articles évaluant la perception des risques de manière générale et non spécifiée.
La deuxième catégorie (Probabilité et conséquences, n = 10) se concentre uniquement sur la dimension délibérative du risque perçu, évaluant la probabilité perçue des conséquences négatives potentielles d’un danger et la gravité perçue associée à ces conséquences, sans tenir compte de la dimension affective.
La troisième catégorie (Affect, n = 2) comprend des articles faisant le contraire, évaluant la perception du risque exclusivement en termes de réactions émotionnelles (inquiétude, préoccupation…).
La quatrième catégorie (Mixte, n = 48) regroupe plus de la moitié de l’échantillon (53,9 %) et parle autant des aspects délibératifs qu’affectifs et subjectifs, même si ces articles ne traitent que partiellement chaque catégorie.
La cinquième catégorie est peu explicite dans ses apports (n = 7).
On comprend bien à cet énoncé de contenu que l’absence d’accord sur un outil commun scientifiquement fondé pour définir et évaluer la perception des risques limite fortement la comparaison entre les études.
Seuls sept articles sur les 89 ont étudié les dimensions délibérative et affective de la perception des risques conformément à la définition appropriée et à l’évaluation standard suggérée par Wilson et al. (2019). Parmi eux, quatre articles utilisent un outil standardisé : l’échelle CoWoRP. Il s’agit d’un questionnaire utilisé comme outil d’enquête sur la perception des risques dans le secteur de la construction. Le questionnaire évalue à l’aide de 13 items la dimension délibérative (avec deux sous-échelles distinctes concernant la probabilité et la gravité) et la dimension affective (en termes d’inquiétude et de sentiment de sécurité). Ces dimensions sont évaluées séparément pour différents scénarios (par exemple, probabilité de subir les conséquences négatives d’un travail sur une voie de levage en mouvement ; gravité des conséquences négatives potentielles d’un travail sur une échelle à tréteaux instable ; inquiétude quant aux conséquences négatives d’un mauvais placement des câbles au sol ; sentiment d’insécurité quant aux conséquences négatives potentielles d’une marche sur un tapis ou une natte mal pavés), plutôt que d’évaluer toutes les dimensions pour les mêmes dangers.
On notera que l’indice de perception des risques qui en résulte se compose d’un mélange de différents éléments de la construction associés à des dangers très différents, qui requièrent souvent des pratiques préventives très différentes. Un point important quand on veut développer des interventions efficaces de formations sur le terrain.
Perception des risques et comportements en matière de sécurité
Le deuxième objet de la revue porte sur la relation entre la perception des risques et les comportements en matière de sécurité.
La majorité des articles (63 %, n = 56) étudient les comportements de sécurité en lien avec l’observance des règles de sécurité et des barrières de défenses.
Inversement 17 % (n = 15) des articles évaluent les comportements de sécurité dans une perspective opposée, en ne considérant que les comportements de prise de risque (par exemple, le non-respect des règles de sécurité).
Les autres articles évaluent les intentions comportementales (4,5 %, n = 4), les expériences d’accidents/blessures (4,5 %, n = 4) ou un mélange de différentes catégories.
Au total, seuls 67 articles évaluent clairement l’association entre perception du risque et réalité des comportements. 55 % de ces 67 articles font état d’une association positive et significative entre la perception du risque et l’adoption de meilleurs comportements de sécurité. Seuls 6 % des articles font état d’une association négative et significative, c’est-à-dire qu’une perception plus élevée du risque est associée à un comportement moins sûr. Un effet nul a été signalé dans 25 % des articles, tandis que 13 % ont fait état de résultats mitigés (par exemple, un effet positif significatif pour un comportement spécifique, mais pas pour les autres, ou pour une sous-dimension de la perception du risque).
Rôle des autres facteurs, notamment culturels et organisationnels
Ce troisième regard de la revue de littérature vise à déterminer si et comment d’autres facteurs peuvent être impliqués dans la relation entre la perception du risque et les comportements de sécurité.
Les résultats pointent surtout des facteurs favorisants au niveau individuel (traits de personnalité, motivation, expertise, etc.). Seuls deux articles évaluent des variables au niveau organisationnel, notamment le côté facilitateur de l’effet du climat de sécurité et des conditions de travail. On notera que, quand ces facteurs organisationnels sont jugés efficaces, ces facteurs organisationnels et culturels modifient les comportements de sécurité plus que la perception des risques elle-même.
Que retenir ?
L’intérêt pour le sujet a clairement augmenté depuis 5 ans.
Mais les publications restent plutôt de mauvaise qualité méthodologique et théorique, faute d’un cadre de référence commun. L’analyse a révélé une grande variété de méthodes utilisées pour évaluer la perception des risques, dont beaucoup restent de faible qualité. Les définitions de la perception des risques, et même celles des comportements de sécurité, sont soit absentes, soit partielles, ne couvrant qu’une des facettes du sujet. Seuls 7 des 89 articles ont évalué les 3 sous-dimensions de la perception des risques proposée comme unificatrice par Wilson.
Cette faiblesse méthodologique et théorique nuit à l’efficacité des interventions de terrain et de formation dans les entreprises.
Malgré ces failles méthodologiques, l’association positive entre la perception du risque et les comportements de sécurité est retrouvée dans la plupart des articles. Les travailleurs de première ligne qui perçoivent les dangers liés au travail sont plus susceptibles d’adopter des comportements de sécurité, tandis que ceux qui ont une faible perception du risque sont plus susceptibles de négliger l’autoprotection. Former à lire le danger et percevoir les risques est donc une bonne direction d’amélioration des comportements de sécurité.
Néanmoins, la présence d’effets nuls et de résultats mitigés dans près de 40 % des articles souligne la nécessité d’approfondir cette relation, même si elle peut s’expliquer par l’hétérogénéité des mesures utilisées pour évaluer à la fois la perception des risques et le comportement en matière de sécurité.
Les facteurs facilitateurs organisationnels et culturels de la perception des risques et des liens aux comportements de sécurité restent encore mal explorés. Seuls 11 articles sur 89 ont étudié ces aspects. Les facteurs organisationnels tels que le climat de sécurité et les conditions de travail n’ont guère retenu l’attention, tandis que le rôle de la dynamique de groupe, des relations entre collègues et du leadership au sein d’une équipe de travail sont presque toujours négligés. C’est clairement un manque pour toutes ces études car les éléments contextuels et sociaux du cadre de travail sont sûrement pertinents. Par exemple, si le climat de sécurité au sein d’une équipe de travail est médiocre (par exemple, quand on laisse un travailleur ne pas porter l’équipement de protection individuelle approprié ; quand le manager et/ou les collègues n’interviennent pas sur un écart évident aux règles de sécurité ; et/ou si le chef d’équipe ne donne pas la priorité à la sécurité), un travailleur peut diminuer sa perception de l’environnement de travail comme étant risqué et donc réduire sa volonté d’adopter des comportements de sécurité (Christian et al., 2009 ; Fang et al., 2020).
De même, un faible engagement perçu de la direction en faveur de la sécurité (Hansez & Chmiel, 2007) ou des difficultés à récupérer les équipements de sécurité peuvent amener le travailleur à considérer la sécurité comme une composante non pertinente de son travail quotidien. En outre, les environnements de travail qui favorisent les cultures « machistes » (par exemple, en mettant l’accent sur la force et la dureté, l’émotivité et le courage en tant qu’expressions de la masculinité) peuvent amener les travailleurs à considérer les risques en termes fatalistes ou comme des défis passionnants à relever (Stergiou-Kita et al., 2015).
Il est donc nécessaire de mieux comprendre le rôle joué par tous ces facteurs contextuels et par la dynamique sociale dans la perception des risques et le respect des règles de sécurité par les travailleurs.