Improving work environments through regulation
Ståhl, C., Lundqvist, D. & Reineholm, C. (2025). Improving work environments through regulation: A literature review on the influence of regulation, inspection practices and organizational conditions in European workplaces. Safety Science, 191
Notre avis
Ce mois-ci une revue de littérature de collègues suédois sur le lien entre cadre législatif de protection de la santé sécurité au travail et réalité du terrain dans les entreprises des différents pays européens. Le matériel analysé est considérable, même si beaucoup de résultats ne surprendront pas les lecteurs de la Foncsi. À lire pour se conforter dans les bonnes approches.
Notre synthèse
L’article évalue la force de la contrainte du cadre légal et législatif sur la protection de la santé sécurité au travail (Occupational Health and Safety - OHS) en évaluant la réalité de son effet sur les conditions concrètes de travail et sur les chiffres observés d’incidents et accidents dans les entreprises.
L’agence européenne de la sécurité et santé au travail (European Agency for Safety and Health at Work - EU-OSHA) publie régulièrement les résultats de ses directives et observations de terrain, compare les pays et pointe ce qu’il faudrait faire de mieux.
Ce cadre européen, qui inclut aussi la Norvège, vise à garantir une logique règlementaire commune à toute l’Union européenne. Ce lien – intuitif – entre contrainte réglementaire et résultats de sécurité et santé n’est pas si facile à établir, car la gestion de la santé sécurité au travail (Occupational health and safety management - OHSM), élément le plus souvent étudié par les travaux académiques, dépend pour beaucoup de l’interprétation donnée par les États (dans leur validation parlementaire obligatoire des directives européennes), par les autorités et in fine par les employeurs (quelle compréhension, quelle organisation mise en pratique pour se mettre en conformité avec ces lois, quel suivi par les autorités, quelles pratiques d’inspections, etc.).
Les auteurs proposent une revue de littérature sur le sujet. Ce n’est pas la première, on en connaît déjà quelques-unes, certaines limitées aux questions de la conformité et des inspections, d’autres sectorielles (pêche, construction).
Mais aucune revue n’est de portée générale, et c’est le but de celle-ci en insistant sur le regard européen qui est tout à fait singulier par les droits sociaux – plus forts que sur les autres continents – qu’il confère aux travailleurs en termes de protection au travail et de conditions de travail.
Des analyses anciennes montraient que les pays nordiques, le Royaume-Uni et l’Irlande avaient plutôt de meilleures organisations en matière de santé sécurité au travail, alors que les pays baltes et les petits pays du sud étaient plutôt en retard.
La méthode employée pour conduire cette revue de littérature repose sur une réunion d’études pratiques conduites en Europe, étudiant le cadre législatif et d’inspection propre à chaque pays, et son application sur le terrain. Le premier tri a ramené 16 284 références qui s’est réduit à 339 études, puis finalement à 56 études remplissant tous les critères de qualité et de périmètre exigés.
Sur ces 56 études, la moitié environ proviennent du nord de l’Europe.
Les 56 études ont été réparties en 7 catégories :
- Conformité des conditions de travail au cadre règlementaire, système de gestion de la sécurité au travail, participation syndicale, gestion des aspects psycho-sociaux et de la Qualité de vie au travail (20 études),
- Conditions générales pour la conformité, formations, ressources allouées, engagement de la direction, culture et climat de sécurité, égalité des conditions entre hommes et femmes (11 études),
- Contenu et fréquence des inspections, type de sortie des inspections – sanction versus conseil et amélioration continue (10 études),
- Rôles de chacun dans la santé sécurité au travail – souvent mal définis (5 études),
- Rôle du management, engagement de ces managers dans la santé sécurité et fonctions et organismes supports en lien avec la santé sécurité (5 études), conception de standards et certification (3 études),
- Facteurs contextuels (2 études sur les conditions économiques, période de récessions, etc.).
La synthèse fait émerger 4 thèmes
Un chemin difficile de la loi à la pratique
L’interprétation et l’application en contexte de la loi reste souvent difficile. Les inspections renforcent la conformité, mais elles varient en nature et résultats selon les pays. Un plus grand nombre d’inspections ne semble pas lié à un moindre nombre d’accidents. Ce sont les inspections conduites en contexte, avec une approche relativement globale sur les conditions de travail, suivies d’un accompagnement des employeurs dans le changement des conditions de travail en fonction des résultats observés, qui sont le mieux corrélées à la baisse des accidents. En revanche, les certifications, utiles sur beaucoup de domaine, ne semblent pas pouvoir améliorer le climat et les troubles psychosociaux.
L’importance des conditions contextuelles nationales et sectorielles
Les directives européennes sont toujours réinterprétées dans le contexte national et sectoriel ; elles ont de ce fait un impact variable selon les pays. Par exemple, l’Espagne et le Royaume-Uni font peser la conformité sur des acteurs différents. Le marché du travail est une autre variable expliquant les différences d’un secteur à un autre : L’industrie norvégienne du pétrole et du gaz a des règlementations plus exigeantes que le BTP. Les différences peuvent aussi concerner la gestion des inégalités entre les hommes et les femmes, ou les conditions de travail des travailleurs âgés. Plus globalement, beaucoup de différences dans la réalité du terrain renvoient aux différentes ressources économiques des différents secteurs et pays.
L’importance des conditions structurelles
Les organisations et conditions réelles de travail mises en place peuvent ou non favoriser la santé sécurité au travail. On note ici le lien général établi entre pression de la demande des produits et services et une moindre conformité. Un autre lien récurrent corrèle la taille de l’entreprise et la qualité des politiques de santé sécurité : plus l’entreprise est importante, meilleure est la politique santé sécurité. Ce critère de taille de l’entreprise s’avère même être le meilleur prédicteur de la conscience et de la prise en compte efficace des risques et de l’observance des règles. Dans les grandes entreprises, le climat social, la culture de sécurité et l’engagement managérial jouent aussi un rôle positif déterminant. D’autres critères concernent les horaires, roulements et types de contrat (précaire ou permanent). De façon générale, les employeurs ayant intégré des routines de prévention dans leurs pratiques sont plus efficaces dans leur résultat de santé sécurité. Le processus de certification, quand il existe, renforce ces routines et accélère la conformité. Enfin, l’emploi de sous-traitants par les grandes entreprises – en intégrant la lecture des statistiques de risques de ces sous-traitants dans leur propre bilan – profite généralement à ces petites entreprises externes qui apprennent du donneur d’ordres et sont mises sous pression pour s’aligner et s’améliorer sur ce secteur de la santé sécurité au travail.
Dans tous les cas, le rôle du management est un facteur clé des bons résultats, et particulièrement les formations du management à la prise en compte de ces questions de santé sécurité au travail.
L’importance des conditions sociales
Un bon climat social et une culture de transparence et de communication dans l’entreprise sont sans surprise un facteur clé des résultats de santé sécurité au travail. On note que les syndicats croient souvent davantage à l’effet du règlement et priorisent plus la sécurité que les managers, mais avec des écarts et sous-cultures selon les secteurs. En revanche, la question du genre et des inégalités de genre n’est souvent vue qu’à travers le prisme du harcèlement, sans changer fondamentalement les inégalités persistantes de salaires et carrières qui sont au détriment de l’emploi féminin.
Discussion
On retient que ces très nombreuses études sur le sujet ont peu de perspectives longitudinales (étude des changements dans le temps) et restent souvent locales.
Du coup, les méthodes employées dans les articles recensés sont plutôt à faible valeur de preuve et s’exposent à de multiples biais de résultats. Elles n’utilisent que rarement les protocoles randomisés avec de vrais groupes témoins aveugles. Ces biais affectent l’analyse des relations de cause à effet complexes des situations de travail, typique du monde moderne.
Comme cela avait déjà été noté dans le passé, il n'y a pas de relation linéaire entre le cadre législatif et les pratiques réelles de santé sécurité au travail. La combinaison d’une forte demande, d’une bonne organisation du travail et d’une bonne culture de sécurité peut s’avérer performante pour la santé sécurité.
L’analyse identifie toutefois quatre facteurs majeurs de régulation :
- Un facteur sociétal global qui diffère d’un pays à l’autre.
- Un facteur de qualité des inspections qui nécessite à la fois assez de ressources et une capacité à établir un bon équilibre entre contrôle et pénalité d’un côté, et aide et accompagnement de l’autre, notamment dans la compréhension des règlements. On note un avantage aux grandes organisations sur tous ces points.
- Un facteur d'organisation interne et de routines de sécurité mises en place au quotidien par le management, ce qui suppose une compétence suffisante de ces managers – un point souvent jugé faible dans les études.
- Un facteur externe avec la pression de la demande.
On en conclut que les règlementations sont essentielles et indispensables pour contrebalancer les pressions externes et créer de l’incitation pour les employeurs à prioriser la santé sécurité au travail et mettre en place une organisation interne optimisée en matière de conditions de travail.
Quand les pressions internes et externes sont bien combinées et maîtrisées la santé sécurité au travail devient une priorité et la conformité augmente rapidement et globalement.
Un commentaire de Hervé Laroche, animateur de programmes à la Foncsi
L’étude suggère que la mise en œuvre des règlementations est un point essentiel de leur efficacité et que cette mise en œuvre n’est pas qu’une question de moyens (nombre des inspecteurs ou fréquence des inspections, par exemple). La mise en œuvre des règlementations est une question de stratégie intégrant la prise en compte des comportements des entreprises, qui n’ont rien de simple, et dépassant la simple émission de normes. L’accompagnement est donc essentiel. Cet accompagnement est d’autant plus crucial pour les petites entreprises, qui subissent plus directement et brutalement les pressions de la demande, et qui ont moins de ressources pour comprendre la règlementation et s’y conformer. Les grandes entreprises, si décriées de nos jours, demeurent tout de même les meilleures en termes de santé et de sécurité. Tout cela plaide pour des dispositifs décentralisés, capables de s’adapter à des contextes variés (secteur, activité, taille, etc.). Il n’est pas certain que ce soit la perspective de ceux qui décident et conçoivent les politiques et les systèmes administratifs. De plus, l’accompagnement est souvent vu par le public comme une « liaison dangereuse », car il implique des attitudes compréhensives, adaptatives, de la part des autorités publiques. Le bâton de la norme, pour beaucoup, devrait suffire. C’est une illusion qui renaît sans cesse.